Définition de ingratitude | Dictionnaire français (2024)

INGRATITUDE, s. f. (Morale.) oubli, ou plutôtméconnoissance des bienfaits reçus. Je la mettroisvolontiers cette méconnoissance au rang despassions féroces; mais du-moins on ne trouvera pasmauvais que je la nomme un vice lâche, bas, contrenature, & odieux à tout le monde. Les ingrats,suivant la remarque de Cicéron, s'attirent la hainegénérale, parce que leur procedé décourageant lespersonnes généreuses, il en résulte un mal auquelchacun ne peut s'empêcher de prendre part.

Quoique l'ingratitude ne renferme aucune injusticeproprement dite, entant que celui de qui l'on areçu quelque bienfait, n'a point droit à la rigueurd'en exiger du retour; toutefois le nom d'ingrat désigneune sorte de caractere plus infâme que celuid'injuste; car quelle espérance aurois-je de toucherune ame, que des bienfaits n'ont pû rendre sensible?Et quelle infamie de se déclarer indigne par lec?ur de l'opinion favorable qu'on avoit donné desoi!

Si l'on réfléchit aux principes de ce vice, on s'appercevra,qu'outre l'insensibilité dont il émane sisouvent, il découle encore de l'orgueil & de l'intérêt.M. Duclos a très-bien dévoilé ces trois sourcesde l'ingratitude, dans son livre sur les M?urs, dontje ne tirerai cependant que le précis.

«La premiere espece d'ingratitude, dit-il, estcelle des ames foibles, légeres, & sans consistance.Affligées par le besoin présent, sans vûe sur l'avenir,elles ne gardent aucune mémoire du passé:elles demandent sans peine, reçoivent sans pudeur,& oublient sans remords. Dignes de mépris,ou tout au plus de compassion, on peut les obligerpar pitié, & par grandeur d'ame.

«Mais rien ne peut sauver de l'indignation celuiqui ne pouvant se dissimuler les bienfaits qu'il areçus, cherche cependant à méconnoître son bienfaiteur.Souvent après avoir reclamé les secoursavec bassesse, son orgueil se révolte contre tousles actes de reconnoissance qui peuvent lui rappellerune situation humiliante; il rougit du malheur,& jamais du vice.

» A l'égard de ces hommes moins haïssables queceux que l'orgueil rend injustes, & plus méprisablesencore que les ames légeres & sans principes,dont nous avons parlé d'abord, ils font de la reconnoissanceun commerce intéressé; ils croientpouvoir soumettre à un calcul arithmétique, lesservices qu'ils ont reçus; ils ignorent qu'il n'y apoint d'équation pour les sentimens, & que l'avantagedu bienfaiteur sur celui qu'il a prévenu parses services, est en quelque maniere inappréciable».

Telles sont les principales sources qui font germerl'ingratitude de toutes parts. Ceux qui mettentleur espoir dans la reconnoissance des gens qu'ilsobligent, n'ont pas assez réfléchi sur cette matiere;le symbole des ingrats, ce n'est point le serpent,c'est l'homme. En effet, tant de conditions sont requisespour s'acquitter dignement d'un bienfait notable,que cette considération fit dire aux Stoïciens,qu'il n'y avoit que leur seul sage qui les sût dignementremplir.

Celui qui ne rend pas la pareille à son bienfaiteur,lorsqu'il le peut, est un ingrat. Le manque de reconnoissanceintérieure d'un plaisir reçu, est unebranche d'ingratitude. Puisqu'on a trouvé l'ameprompte & ouverte à obliger, il faut avoir la boucheprompte à publier le bienfait, & l'ame ouverteà le sentir: c'est ainsi que le plus pauvre homme dumonde peut dignement s'acquitter. Le romain quivenant d'obtenir d'Auguste la liberté de son pere,lui dit les larmes aux yeux, qu'il le réduisoit à la nécessitéde vivre & de mourir ingrat vis-à-vis de lui,tenoit bien le propos d'une ame reconnoissante. Onne tombe point dans l'ingratitude, lorsque les moyensextérieurs nous manquent, si notre c?ur est vraimentsensible: le c?ur mesure les services qu'onrend, & le c?ur en mesure aussi le ressentiment.

Je croirois que c'est une sorte de méconnoissance,quand l'on s'empresse trop de sortir d'obligation,d'effacer le plaisir reçu, & de demeurer quitte parune espece de compensation, munus munere expungendo; car les lois de la gratitude sont différentes decelles d'une place de change.

Ceux-là sont encore plus blâmables, qui pourcompensation, payent avec de la pâte de belles hécatombes,& qui présentent à Mercure des noyauxpour d'excellens fruits qu'ils ont reçus de sa mainlibérale.

Mais que penser de ces gens d'un naturel si dépravé,qu'ils rendent le mal pour le bien; semblablesà ces mauvaises herbes, qui brûlent la terre quiles nourrit. Il arrive quelquefois, dit Tacite, quelorsqu'un service est au-dessus de la récompense,l'ingratitude & la haine même prennent la place dela reconnoissance & de l'amitié, pro gratiâ rependitur odium. Séneque qui a épuisé ce sujet, va plusloin que Tacite; il ajoute que de tels monstres sontcapables de haïr à proportion qu'on les oblige.Quoi donc, ce qui doit le plus porter à la gratitude,produiroit des effets si contraires? S'il étoit vrai quela bienfaisance pût exciter la haine, & qu'une sibelle mere fût capable de mettre au jour un enfantsi difforme, il ne faudroit pas s'étonner de voir descaracteres difficiles à recevoir des faveurs. Il estvrai qu'on ne doit pas prendre de toutes mains, nidonner de toutes mains; s'il convient de recueillirdes graces avec sentiment, avec jugement, il estbon de les dispenser de même; mais d'ordinaire,nous ne savons faire ni l'un ni l'autre.

Quelques auteurs ont prétendu que les lois d'aucunpeuple n'avoient porté de peines contre l'ingratitude, non plus que contre le parricide, pour ne pasprésupposer des choses si détestables, & qu'une voixsecrete de toute la nature semble assez condamner;mais l'on pourroit leur nommer les Perses, les Athéniens, les Medes, ou plutôt les Macédoniens, quiont reçu dans leurs tribunaux de justice l'action contre lesingrats. Les Romains & les Marseillois avoientautrefois des peines imposées contre les affranchisingrats envers leurs anciens maîtres.

Ces sortes d'exemples avérés par l'histoire, ontfait souhaiter à d'honnêtes citoyens, qu'il y eût dansun siecle tel que le nôtre, une peine certaine & capitaleétablie contre ce vice, qui n'a plus de bornesà cause de son impunité. Hé quoi, répond M. leVayer, voudroit-on dépeupler le monde? Il n'y apoint de prisons assez spacieuses pour resserrer lamultitude de ceux qu'on accuseroit, ni beaucoupmoins de places capables de recevoir le nombre deplaideurs, que cette sorte d'action feroit éclorre. LePnyce d'Athènes & les amphithéatres de l'ancienneRome ne suffiroient pas au concours d'accusateurs& d'accusés.

Peut-être encore que si le nombre d'ingrats étoitreconnu aussi grand qu'il est par les poursuites judiciairesd'une action de droit reçue, on n'auroit plusde honte de se trouver en si belle & si nombreusecompagnie, composée principalement de gens dupremier ordre, tous couverts de soie, d'or, & depourpre.

Ajoutons que, comme il n'y auroit presque personnequi ne se plaignît d'avoir été payé d'ingratitude, il seroit très-difficile de peser exactement les circonstancesqui augmentent ou qui diminuent le prixd'un bien fait.

Enfin, le mérite du bienfait seroit perdu, si l'onpouvoit poursuivre un ingrat comme on poursuit undébiteur, ou une personne qui s'est engagée par uncontrat de louage. Le but propre d'un bienfait, c'est-à-dire d'un service, pour lequel on ne stipule pointde retour, c'est d'un côté, de fournir l'occasion àcelui qui le reçoit, de justifier sa libre reconnoissancepar l'amour de la vertu; & de l'autre, de montreren n'exigeant rien de celui à qui l'on donne,qu'on lui fait du bien gratuitement, & non par desvûes d'intérêt.

Quoique rien n'oblige de fournir de beaux habitsà des fous qui les déchirent, il faut toûjours comptersur l'ingratitude des humains, & plutôt s'y exposer,que de manquer aux misérables. L'injure se gravesur le métal; une grace reçûe se trace sur le sable,& disparoît au moindre vent. Il faut moins servir leshommes pour l'amour d'eux, disoit un sage de laGrece, que pour l'amour des dieux qui le commandent,& qui récompensent eux-mêmes les bienfaits.C'est pourquoi Virgile place les ames bienfaisantesdans les champs élisées:

Quique sui memores alios fecere merendo,
Omnibus hîc niveâ cinguntur tempora vitâ.

On sait le mot de ce bon religieux rapporté parPhilippe de Comines, au sujet de Jean Galéas, ducde Milan. «Nous nommons saints, tous ceux quinous font du bien». Je tiens pour dieu, tout cequi me nourrit, disoit l'ancien proverbe grec. (D. J.)

Ingratitude, (Jurisprud.) l'ingratitude du donataireenvers le donateur est une juste cause pourrévoquer une donation entre-vifs, quoique de sanature elle soit irrévocable.

Le donataire est coupable d'ingratitude, lorsqu'ila fait quelque injure grave au donateur, ou qu'il l'abattu & outragé, qu'il lui a causé de dessein préméditéla perte de ses biens; s'il a refusé des alimensau donateur tombé dans l'indigence; s'il a attentéà sa vie, ou y a fait attenter par d'autres; enfin, sipar affectation il a persisté dans un refus opiniâtrede satisfaire aux clauses de la donation.

Ce droit de révoquer une donation pour cause d'ingratitude, ne passe pas à l'héritier du donateur,si lui-même ayant connu l'ingratitude, l'a dissimulée& n'a point agi en justice pour faire révoquer la donation.Voyez la loi derniere au code de revoc. donat.

L'ingratitude du vassal envers son seigneur dominant,donne lieu à la commise du fief au profit duseigneur.

Le vassal se rend coupable d'ingratitude, lorsqu'ily a de sa part desaveu ou félonie. Voyez Commise, Desaveu, & Félonie. (A)

Wikisource - licence Creative Commons attribution partage dans les mêmes conditions 3.0

Définition de ingratitude | Dictionnaire français (2024)
Top Articles
Latest Posts
Article information

Author: Arline Emard IV

Last Updated:

Views: 5888

Rating: 4.1 / 5 (52 voted)

Reviews: 83% of readers found this page helpful

Author information

Name: Arline Emard IV

Birthday: 1996-07-10

Address: 8912 Hintz Shore, West Louie, AZ 69363-0747

Phone: +13454700762376

Job: Administration Technician

Hobby: Paintball, Horseback riding, Cycling, Running, Macrame, Playing musical instruments, Soapmaking

Introduction: My name is Arline Emard IV, I am a cheerful, gorgeous, colorful, joyous, excited, super, inquisitive person who loves writing and wants to share my knowledge and understanding with you.